Christina Elefteriades Spring 2005

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De temps en temps je pense que tout est différent ici à Toulouse. Après que ma famille française m’a accueillie à l’aéroport, nous avons essayé de trouver la place pour mes deux grandes valises dans une des plus petites voitures que j’ai jamais vue. Je m’étais inquiétée que les valises seraient trop grandes pour l’avion, mais je n’avais pas pensé à la voiture. Avant mon départ, mon père et ma mère m’avaient conduite à l’aéroport à New York dans notre pick-up. Il n’y avait aucun problème pour les valises. Ainsi, mes premiers moments à Toulouse m’avaient déjà donné conscience des différences culturelles auxquelles je n’avais jamais pensé, malgré huit ans d’études de la langue française et deux visites à Paris. Il est vrai que les différences, petites et grandes, abondent ici. Même les trombones, les bouteilles de Coca, les poignées de porte, les sirènes des ambulances sont différents – les choses apparemment insignifiantes de même que les choses les plus fondamentales à la vie. Pendant mes premiers jours ici avec ma famille d’accueil, la seule chose stable était que j’étais toujours en train d’observer les différences.

Quand mon père d’accueil, ma sœur d’accueil, et moi sommes rentrés à la maison ce premier jour, ma mère d’accueil m’avait soigneusement préparé un de ses meilleurs plats. Ce que j’aime manger, d’habitude, ce sont des pâtes sans sauce ou un sandwich avec de beurre de cacahuètes. Dans l’embarras parce que je ne voulais pas manger de choses inconnues, mais si affectueusement préparées pour moi, j’ai décidé de tout essayer – le foie gras, les fromages, le jambon, le riz, le pain, le vin, et les autres choses dont je ne connaissais ni le nom ni le contenu. Sans trop dire, j’ai eu mal à l’estomac toute la soirée. Cependant, à cause de ce malaise, je suis devenue immédiatement la fille de ma mère d’accueil. Je pense qu’il n’y a rien de plus intime en ce qui concerne le rapport mère-enfant que les moments où la mère soigne sa fille ou son fils malade. Ainsi, mon rapport avec ma mère d’accueil est né d’une vraie intimité et d’une confiance réciproque.

Le jour où je suis arrivée à Toulouse, ma famille d’accueil m’a donné un porte-clefs avec trois clefs : une pour la grande porte de la maison, une pour la porte de ma chambre, et l’autre pour ma petite boîte aux lettres dans le couloir. À partir de ce moment, je me sentais un vrai membre de la famille. Ce même jour ils m’ont offert aussi un rond pour ma serviette en tissu, car ils en avaient tous, avec un motif qui le distinguait des autres. J’ai remarqué qu’ils étaient presque fiers de me passer ce rond : « Tiens, Christina. C’est le tien », m’a dit ma mère d’accueil avec un sourire. Tout ce à quoi je pensais ce jour-là, c’était que, chez moi, nous n’utilisons jamais les serviettes en tissu. Ça prendrait trop de temps pour les nettoyer. Elles ne sont pas aussi hygiéniques que les serviettes jetables. Je me suis rendu compte plus tard, pourtant, que ce rond de serviette était beaucoup plus important que les clefs. C’était à travers le rond serviette que je deviendrais un vrai membre de la famille, à travers les conversations pendant le dîner. Voilà pourquoi ma famille était si heureuse de me l’avoir donné. Pour devenir un membre de la famille, il ne s’agissait pas d’habiter à la même adresse, mais de prendre les repas et de vivre les moments ensemble.

Le premier week-end avec ma famille m’a amenée à d’autres découvertes. Le dimanche matin, j’étais stupéfaite par la beauté de la cathédrale St. Étienne et aussi par les chansons – la rime, les syllabes accentuées, la musique à l’intérieur des mots. Pourtant, j’étais en même temps très surprise qu’il n’y ait pas de chauffage dans l’église. Je ne peux pas penser à un seul bâtiment chez moi où il n’y a pas de chauffage. La froideur de l’église, en plus de la pierre et des vieux tableaux me donnait l’impression que je vivais dans un temps passé. Je trouve que Toulouse est un lieu très enraciné dans le passé. Comme l’écrit Paul Baudry dans son livre Français & Américain : « […] les cultures implicites, telles que les cultures française et japonaise, sont plus tournées vers le passé, et les cultures explicites [comme la culture américaine] vers le présent et le futur » (Baudry 31). On trouve ici à Toulouse une appréciation pour les vieilles choses – les églises, les livres, les assiettes, les maisons. Ma famille d’accueil m’a montré le premier jour leur arbre généalogique, par lequel elle peut retrouver ses origines, jusqu’à la Révolution. Ma sœur d’accueil, Alice, dort avec des chemises de nuit qu’elle a trouvées au marché d’antiquités. Toutes mes amies aux Etats-Unis dorment avec des vêtements Gap ou Victoria’s Secret. L’emphase est dans l’achat et le style nouveau. Ici, le luxe se trouve dans le bon fromage et les fruits frais du marché, dans la grande tasse de thé du petit-déjeuner, dans la richesse de la conversation autour de la table le dimanche. Je me suis rendu compte aussi du fait que mes parents, mes sœurs, et mon frère d’accueil portent souvent les mêmes vêtements pendant deux ou trois jours, ce que ma famille aux Etats-Unis ne fait jamais. Je pense que ceci reflète aussi la simplicité, le côté plutôt historique de la vie ici. J’ai remarqué aussi qu’une lenteur et une stabilité caractérisent la vie de ma famille ici. J’ai dit à ma mère aux États-Unis que je pense qu’il serait impossible de devenir trop stressée dans cette maison. Je me sens vraiment installée dans une atmosphère équilibrée, ferme, solide. C’est facile de se sentir à l’aise dans une telle famille.

J’aime beaucoup entendre les gens parler le français avec énergie et rapidité – la femme qui marche sur le trottoir et parle avec son amie, l’enfant qui essaye de parler à sa mère au supermarché, ma mère d’accueil quand elle revient de son travail le soir et nous raconte l’histoire de sa journée. J’ai l’impression que les Français, quand ils parlent vite et énergiquement, parlent avec tous les muscles de la gorge et de la poitrine, avec tout leur être, et je le remarque beaucoup plus ici qu’aux Etats-Unis. Je pense que les façons dont on traite la langue elle-même reflètent beaucoup sa culture et la relation entre la langue et la culture. Par exemple, quand je suis allée à l’église Ste. Anne avec ma mère d’accueil, elle m’a chuchoté de faire attention à la manière de parler du prêtre. Elle m’a dit qu’il parlait un français très pur. Quand je pense à l’anglais, je découvre qu’il y a des structures grammaticales justes et fausses, et c’est la même chose pour la prononciation. Il y a aussi des mots d’argot ; mais je ne pense pas qu’on peut parler du degré de la pureté de la langue anglaise de la même façon dont on peut en parler pour le français. C’est ainsi que la conversation autour de la langue permet de mieux la connaître et de la comprendre. J’ai écouté le prêtre – ses liaisons, le rythme de ses mots, l’accent à la fin de chaque groupe de mots, la présence flottante des « r », et je me suis mise à apprécier l’art de son langage. Si je n’y arrive jamais, je peux quand même prendre plaisir à l’entendre, cette musique.

J’étais vraiment choquée aujourd’hui par les toilettes au Mirail. Je pense qu’on ne verrait jamais des toilettes si ouvertes, des trous dans le sol, dans une université américaine. Je ne m’attendais pas de tout à un campus si différent du mien, surtout au niveau de l’hygiène. Je suis un peu embarrassée de ne pas avoir prévu ce type de différence culturelle, mais je me sens obligée de l’admettre, de le noter. J’anticipe qu’il arrivera un jour dans quelques mois où je me sentirai très à l’aise au Mirail, où tout sera familier, normal, attendu. À ce moment-là, je pourrai relire ce journal et repérer l’évolution entre « choc » et « norme. »

À chaque repas avec ma famille je remarque qu’elle est très versée dans tout ce qui concerne l’histoire. J’apprends beaucoup à la maison, après que je rentre du centre Dickinson. Le dimanche, ma sœur d’accueil, Pauline, vient nous rejoindre pour le déjeuner, avec ma sœur Alice et mon frère Jean-Baptiste, qui habitent à la maison avec moi. Ces déjeuners sont très animés et gais. Pauline m’explique toutes sortes d’expressions quand elle voit sur mon visage que je ne comprends pas. Par exemple, dimanche dernier ma famille m’a expliqué « se payer la tête de quelqu’un » et « couper les cheveux en quatre. » J’essaye chaque semaine d’être de moins en moins perdue dans le fleuve de la conversation qui coule autour de moi à la table. Mon but, c’est de tout comprendre au déjeuner le dernier dimanche de mon séjour en France. Ma famille va m’aider, et on verra….

Je trouve que les gens de Toulouse sont très gentils et, quand ils parlent avec une étrangère, ils sont fiers de leur ville. Je me souviens de la première chose que ma sœur d’accueil m’a dite quand je suis arrivée à l’aéroport – Toulouse est beaucoup plus jolie que Paris ! Je trouve aussi que les gens aiment parler de Toulouse. J’ai pris plaisir ces derniers jours à être seule dans les magasins et à parler avec les gens. J’étais dans un petit magasin de bijoux et de sacs quand une femme m’a demandé l’heure. C’était très satisfaisant d’être capable de répondre à sa question, de me sentir ainsi intégrée dans le quotidien de la vie française, dans les petites questions que les gens se posent les uns aux autres. Je suis allée aussi dans un magasin pour acheter des choses pour mes amis aux Etats-Unis et la jeune femme à la caisse a pensé que j’étais française pendant les premières minutes de notre petite conversation. C’était un moment très agréable pour moi !

Une différence que je remarque entre ma maison française et ma maison américaine, c’est l’ameublement. Ici, ma famille d’accueil n’a aucune chaise devant la télévision. Ils ne la regardent presque jamais. J’ai remarqué aussi que les chaises en France, dans ma famille d’accueil et dans les restaurants, sont d’habitude très petites, en comparaison de celles aux Etats-Unis. Il n’y a pas de canapé large et confortable chez ma famille d’accueil, ce qui me semble essentiel à la maison de la famille américaine. Les autres différences que j’ai notées pendant ces derniers jours relèvent de la nourriture. Je suis allée au cinéma une fois avec ma famille d’accueil et une autre fois avec mes amies et j’ai remarqué que personne n’achète de pop-corn ni de bonbons au cinéma. À mon avis, aux Etats-Unis, la nourriture du cinéma fait partie de l’expérience d’aller au cinéma, et un cinéphile américain est plus enclin à acheter quelque chose à manger pendant le film. Au niveau du lexique, il n’existe pas en français un mot qui traduit facilement l’idée de « snack. » En outre, à la caisse du supermarché français, on n’est pas bombardé de chaque côté par des bonbons. Je ne veux pas trop généraliser ou tirer les conclusions qui n’existent pas, mais je pense qu’il est intéressant quand même de noter ces petites différences culturelles dans la vie quotidienne.

Mon père aux Etats-Unis ne cuisine pas, mais je sais que bien d’autres le font. Ici, mon père d’accueil cuisine très souvent. Il fait sa propre compote et aussi le fromage, ce qu’on appelle le fromage « de la maison. » Toute la famille m’a regardée la première fois que j’ai essayé le fromage de la maison pour voir ma réaction. Heureusement, je l’ai aimé. Je trouve un rapport à la nourriture ici qui est basé beaucoup plus sur le naturel, en comparaison des Etats-Unis. Ce qui est important, ce n’est pas le marché où on a acheté le fromage, comme aux Etats-Unis, mais c’est la région et l’animal d’où vient le fromage qui comptent. En outre, ma famille française mange assez souvent des glands. Pour ma famille aux Etats-Unis, les glands sont des noix agaçantes qui couvrent notre arrière-cour et qui nourrissent les écureuils, pas les gens ; mais je les ai essayés avec ma famille d’accueil, et je les aime beaucoup.

Ça fait quelques semaines maintenant que je vis à Toulouse, et je me sens de plus en plus intégrée dans la culture française, mais il y a toujours les moments où je me sens très étrangère. Ce matin je suis allée à l’IEP pour assister à mon cours de géographie. J’ai parlé un peu avec les autres étudiants et je me sentais à l’aise, mais, pendant le cours, j’ai regardé les notes des étudiants autour de moi, et je me suis rendu compte à quel point mon écriture est américaine. Pourtant, je me suis sentie plutôt confortée que dérangée par la pensée qu’il y aura toujours des marques qui me distinguent comme américaine.

Je vis ici pour les moments de rires avec ma famille d’accueil. Tous les mots de vocabulaires que j’ai appris pendant toutes ces années me servent quand ils m’amènent au point où les rires prennent le pouvoir, les rires qui sont universels.

Je me suis rendu compte ici que ce n’est pas forcément celui qui peut conjuguer le subjonctif ou le passé simple qui parle bien le français. Il s’agit aussi des mots d’argot, du « ben » qui commence ou du « quoi » qui termine une articulation, des souffles qui ponctuent la parole française. Il s’agit de petites choses qu’on ne peut pas apprendre sans l’immersion.

En Nouvelle Angleterre, aux Etats-Unis, les noms des rues les plus anciennes correspondent à la géographie : Little Meadow, Flat Meadow, Laurel Cliffs, Village Pond, Long Hill Road. Ici, à Toulouse, les noms reflètent plutôt les personnes et les métiers que la géographie : rue des Vases, rue des Potiers, rue des Jardins, rue des Moulins, rue des Bûchers, rue des Sept Troubadours. Il me semble qu’en France la géographie est liée d’une manière beaucoup plus explicite et tangible à la sociologie et aux classes sociales qu’aux Etats-Unis. Les gens et l’histoire de la ville se voient dans les noms mêmes des rues.

Je suis déjà allée à Paris deux fois avant notre séjour de cette semaine. Pourtant, j’ai découvert des réactions différentes cette fois. Dans un premier temps, j’ai remarqué à quel point le métro unit des personnes très diverses. On voit une femme avec un manteau de fourrure et un sac cher à côté d’un homme qui a l’air de ne pas avoir beaucoup de moyen. Ce décalage, cette fusion de gens différents m’était beaucoup plus évidente cette fois à Paris. J’ai relevé aussi que les portes des toilettes publiques sont, en général, épaisses et solides, en comparaison de celles aux Etats-Unis, et les portes touchent le sol. En France, on ne peut pas s’accroupir pour voir s’il y a des pieds sous la porte ce qui indique que les toilettes sont occupées. Ce sont des aspects des toilettes que j’ai vus aussi à Toulouse. Je me demande si l’intimité que ces portes permettent a à voir avec l’importance de la vie privée en France, dont nous avons beaucoup parlé le semestre dernier avec Professeur Winn. On a l’impression d’être seul même dans cet espace partagé et public.

Je trouve une double richesse dans toutes ces découvertes. Chaque fois que je trouve quelque chose de « différent, » je deviens plus consciente du fait que je suis américaine, que j’ai ma propre culture innée. Plus j’explore « l’autre, » plus je me rends compte du fait que j’appartiens à une culture américaine. Or, en même temps, je me sens de plus en plus une partie de la culture française. Je commence à marcher très vite, j’achète régulièrement le Nutella, je ne regarde plus les gens que je dépasse dans la rue. Je passe mes jours ici à m’exprimer en français. Mes amies et moi, nous nous approprions des aspects différents de la culture française – nous faisons la bise, nous mangeons tard le soir et nous nous attardons au restaurant à discuter. Nous voulons devenir un peu les mosaïques de ces deux cultures. Ironiquement, ce n’était qu’à partir de la troisième semaine, quand j’ai commencé à voir des petites traces françaises en moi, que j’ai eu un peu le mal du pays. Surtout, je me suis rendu compte que j’aime cette espèce de flou culturel, beaucoup plus que je ne l’aurais pensé. C’est dans le flou que je ne cesse pas de voir de plus en plus clairement les choses qui m’intéressent. Je me vois nouvelle chaque jour. Je suis embarrassée, comme quand je ne savais pas qu’il fallait peser le fruit avant d’aller à la caisse au supermarché ou quand quelqu’un me dit que j’ai un fort accent anglais. Je suis pourtant fière quand les gens me comprennent ou quand je découvre petit à petit les bons restaurants et les magasins bon marché. Je me sens souvent toute seule et loin de tout ce que je connais, mais je me sens aussi souvent dans les bras d’une deuxième famille et de nouveaux amis. Avant tout, je me sens tout le temps étudiante et exploratrice, au seuil de dévoiler un nouvel aspect de Toulouse, de la France, de la langue française, ou de moi-même.